Prélude

Deux puits de lumière dans la salle Edgar Varèse du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMD), l’un pour le « maestro » Alfred Brendel qui arrive dans la salle, tonique malgré ses 90 ans, l’autre pour les jeunes musiciens du Conservatoire qui vont bientôt se lancer dans leur interprétation…

La salle plongée dans la pénombre est silencieuse et dans l’attente des premières notes…

Ils s’élancent avec la fougue de leur jeunesse et de leur duo piano-violoncelle, piano-alto ou trio et quatuor à cordes dans des œuvres de Schubert ou Beethoven.

Les membres du Bureau de l’Association Paroles et Musique, tout particulièrement Florence, Jacques, Marie-Odile et Bernard dégustent cette musique et se réjouissent intérieurement « Oui, nous y sommes arrivés ! IL est là ! Trois années pour préparer cette masterclass, interrompues par l’épisode Covid et pleines de rebondissements, dans l’attente de la venue d’Alfred Brendel, invité du CNSMD…

Revenons sur scène…les musiciens ont joué la dernière note de leur premier mouvement et attendent fébrilement les commentaires du « Maestro »… Celui-ci commence par applaudir avec la salle, dit « bravo » et que c’était bien mais… quelques remarques s’ensuivent rapidement…

La Leçon

Et une sorte de dialogue à moitié muet, où le Maître émet une suggestion et où les élèves la mettent immédiatement en pratique, avec un professionnalisme et un sens musical admirables : reprise ensemble en plein milieu d’une phrase complexe, sur une demande telle que « nous pourrions reprendre mesure 123 ». Les interprètes l’exécutent après une concertation muette et quelques échanges de regard…

Les remarques d’Alfred Brendel ont une certaine constance, à propos de l’interprétation générale de l’œuvre ou au sujet de quelques détails apparemment anodins, mais qui transforment totalement l’aspect de l’œuvre, sa dynamique, les émotions suscitées par cette nouvelle interprétation.

Le tempo d’une œuvre

Les premières remarques d’Alfred Brendel concernent souvent le tempo, avec des questions générales, où l’auditoire est lui-même pris à témoin ; par exemple ce petit dialogue :

  • « A votre avis, quel est le tempo indiqué sur la partition ? 
  • Serait-ce « Allegro assai », comme vous l’avez joué ? (c’est-à-dire très rapide) ?
  • Eh bien non, c’est « Allegro, ma non tanto », c’est à dire la limite basse d’un allegro.
  • Mais vous vous êtes sans doute inspirés d’une interprétation connue… Qui donc avez-vous entendu prendre un tel tempo ?

Les musiciens citent un quatuor, qu’A Brendel connaît bien 

  • « Ah bon … et vous voulez aller encore plus vite ?!»

 

Dans cet ordre d’idée, rappelons cette petite anecdote musicale assez significative :

Fin XIXème siècle, un ensemble de chambre doit jouer devant Brahms une de ses œuvres. Les musiciens ont été prévenus que le Maître n’aime pas les interprétations trop rapides, et ils s’y sont préparés attentivement. A l’issue de l’audition, Brahms les félicite, mais ajoute une petite remarque « Mais pourquoi donc avez-vous joué aussi vite ? »

Cela rejoint la vision d’Alfred Brendel : le compositeur s’est donné la peine d’écrire des indications précises, spécialement pour le tempo et les nuances : autant s’y tenir, quitte à reprendre éventuellement le métronome !

La phrase musicale

La continuité de la phrase musicale est fondamentale : toujours suivre une direction précise, et s’y tenir. Terminer ses phrases en jouant réellement les dernières notes de manière sonore (en réaction à une habitude actuelle qu’A. Brendel ne comprend pas, qui est de terminer de manière par trop évanescente, en disparaissant littéralement).

Souvent, enchaîner deux phrases, un peu comme dans un texte employer un « ; » et non un « . ».

Dans un trio de Beethoven, la phrase musicale passe alternativement du violon au violoncelle : s’arranger pour que cette phrase forme un tout homogène, et que l’auditeur ne remarque pas ce changement de « support ».

Des accentuations sont difficiles, spécialement les contrastes, comme fortissimo-piano, ou sforzando-piano : cela doit être net.

Les syncopes, entraînant une rupture dans la dynamique de la phrase, doivent être précises : elles sont là pour surprendre l’auditeur.

Il ne faut pas hésiter à exprimer des sentiments, quitte à insister, à utiliser sur les instruments à cordes des « portando », comme un chanteur.

Il est intéressant de noter qu’il a été souvent question du sens de la phrase, de sa cohérence, de sa dynamique, mais jamais de virtuosité pure, soit qu’elle n’intéresse pas en tant que telle A. Brendel, soit que les excellents étudiants du CNSMD aient réglé ce problème une bonne fois pour toutes – ce qui semble d’ailleurs être le cas !

Un silence un peu trop long : pourquoi mettre un « trou » dans la phrase ?

A propos des notes longues : ne pas les escamoter, les soutenir et souvent les accentuer.

Quant aux notes répétées par 3 ou 2, où mettre l’accent ? Souvent un geste à inverser par l’interprète, ce qui est loin d’être évident, lorsque les habitudes sont prises.

L’idée principale de la phrase est dans cette invite permanente d’A. Brendel : «You don’t speak to me » : « vous ne me parlez pas», et ne soyez pas des « music maker »…

 

Le Concert

Et je jour du concert est arrivé ! … introduit par Mathieu Ferey, directeur du CNSMD, qui a remercié chaleureusement le « Maestro », Franck Vaudray, à l’origine du projet lorsqu’il était coordinateur du département Claviers, les élèves des master class, et Paroles et Musique Lyon, initiateur et partenaire de ce grand évènement !

 Il était prévu qu’Alfred Brendel choisirait les ensembles qui seraient présents à la « restitution », c’est-à-dire au concert final…suspens !

Heureusement, bonne surprise, les cinq ensembles qui nous avaient enchantés au cours des deux jours de master classes ont été retenus.

Les spectateurs des masters class ont retrouvé avec bonheur les œuvres travaillées lors des jours précédents, comme on retrouve des bons amis. Ce fut également très intéressant d’entendre ces fameux passages sur lesquels Alfred Brendel avait insisté et de voir que ses suggestions avaient toutes été assimilées…

A l’issue du concert, séances de signatures et départ discret du Maestro avec la simplicité de sa grandeur…

 

            Emmanuelle et Henri VIGNE (conseil administration)